Yallah! Soeur Emmanuelle
C’était un pari audacieux que de vouloir incarner au théâtre cette icône du don de soi, de l’action humanitaire et de la charité chrétienne qu’est Sœur Emmanuelle. Pari amplement gagné par Françoise Thuriès qui, ce mardi 25 mars, au théâtre de Douai, est parvenue à faire vivre sous nos yeux Madeleine Cinquin, alias « la petite sœur des pauvres» ou encore « la sainte des bidonvilles », reproduisant, parfois de façon impressionnante, ses intonations et mimiques caractéristiques.
Depuis l’enfant de 6 ans, traumatisé par la noyade de son papa à Ostende, jusqu’à la grande figure médiatique qui, au soir de sa vie, continue de se consacrer à son œuvre, avant de rejoindre, presque centenaire, les bras du Père éternel, Françoise Thuriès évoque, avec une constante justesse de ton et beaucoup de sensibilité, les moments-clés de la vie de sœur Emmanuelle. Nous découvrons ainsi l’adolescente tourmentée partagée entre les sollicitations pressantes d’une sensualité qui s’éveille et les aspirations à se laisser embraser par l’amour infini de Dieu. Puis, c’est la jeune postulante, et bientôt la religieuse dans l’ordre de Notre Dame de Sion, qui, pleine d’enthousiasme, voudrait partir, missionnaire, au service des plus pauvres. On la retrouve enseignante à Istanbul, à Tunis, puis à Alexandrie , mais c’est évidemment sur les années passées au Caire, chez les chiffonniers, que l’actrice s’attarde, nous faisant vivre des scènes particulièrement fortes où sœur Emmanuelle, confrontée brutalement à la misère la plus ignoble, à l’horreur révoltante de la mort de petits enfants frappés par le tétanos, à la détresse indicible de leurs mères, partage la souffrance de ceux qui sont devenus sa famille et reçoit d’eux, à son tour, une leçon d’amour et de foi.
Il faut saluer la performance de Françoise Thuriès qui, dans son solo théâtral d’une heure et demie, réussit le tour de force de captiver les spectateurs avec une pièce écrite à partir du livre de sœur Emmanuelle : Les Confessions d’une religieuse, et mis en scène avec beaucoup de sobriété par Michael Lonsdale. Le dispositif scénique et les décors, minimalistes, préservent toute la force du texte et figurent bien l’idéal de pauvreté de « la petite sœur des chiffonniers », épousant le dépouillement et la purification intérieure qui se sont accomplis au fil de sa vie. Occupant avec aisance et dynamisme tout l’espace scénique, l’actrice, dont le rythme ne faiblit pas, rend compte de la personnalité attachante de sœur Emmanuelle, avec son audace, son caractère bouillonnant, ses combats intérieurs, ses doutes, son humour, son enthousiasme communicatif et son inaltérable optimisme. Et c’est finalement une véritable catéchèse sur la joie de se donner que Françoise Thuriès nous propose à travers son spectacle, nous faisant comprendre, à la suite de Sainte Thérèse, qu’ « aimer, c’est tout donner et se donner soi-même ».
Rayon de soleil pour illuminer notre chemin vers Pâques, ce spectacle tonique et émouvant aura été, pour beaucoup d’entre nous, une occasion de méditer sur le sens de la vie, une invitation à grandir en humanité, et un témoignage stimulant pour notre foi.
Yallah, sœur Emmanuelle, entraîne-nous, à ta suite, sur ce chemin de lumière !
Michel Borelle