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Baptême de la Promotion "Olivier PEQUEUX" - Samedi 12 mars 2022

Baptême de la Promotion "Olivier PEQUEUX" - Samedi 12 mars 2022

Baptême de la Promotion

            Discours de Monsieur Masquelier, Directeur des Classes préparatoires de Saint Jean lors du Baptême de la promotion « Olivier PEQUEUX » le samedi 12 mars 2022.

 

            Madame, Monsieur, survivants, survivantes, genrés, non genrés, binaires, non binaires, Msieur’dame, iel, on ne va pas pouvoir tous les faire … autres…

 

                 J’espère n’avoir stigmatisé personne dans la salle ! Nul ne doit se sentir mal à l’aise ; je ne voudrais pas être voué aux gémonies du wokisme triomphant : pardon pardon pardon, mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa !

C’est ma faute, c’est ma faute, c’est ma très grande faute !

 

                 Vous êtes venus vous êtes tous là pour assister à cet événement inouï du baptême de promotion 2022. La joie dans vos cœurs, je perçois pourtant une sourde inquiétude poindre dans vos regards : vous vous demandez peut-être « le discours sera-t-il long ? », « aura-t-on le temps de boire un coup », « champagne ou mousseux qui pique ? », « petits fours frais ou surgelés ? », « ai-je bien fermé la porte à clef avant de partir ? », « où sont les toilettes ? » et surtout « le port du masque est-il obligatoire ? »

 

                 Toutes ces questions, je me les pose aussi. En effet, pour la onzième fois, il faut inaugurer un nouveau baptême de promotion par un discours qui, tradition oblige, doit être à la fois, empreint de drôlerie et de gravité, et user d’échappatoires inédites.

 

                 Hélas, que faire ? mais que faire ? que dire de nouveau ?  Mon discours sera bref, puisque je n’ai rien à dire. Certes pour vous, c’est sans doute un soulagement, mais pour l’orateur quelle horreur ! L’esprit vagabond, stylo en main, l’œil hagard, devant une feuille désespérément vierge, je fixais, dans ma chambre de la Sia, le néon blafard qui grésille de vétusté. C’est la dernière source de lumière encore en fonctionnement à l’internat, elle vacille, fragile comme un espoir qui s’éteint avant le triomphe des ténèbres…

 

                 Le vide sidéral du propos à tenir m’effrayait. Pascal parlait déjà de ces espaces infinis qui angoissent. Le doute m’habite, j’ai paniqué comme un bizuth effarouché par le premier sujet de culture générale : « pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? »

 

                Car vraiment, comme le proclame l’Ecclesiaste, qui certes n’est pas la partie de la bible la plus joyeuse ni la plus déjantée, nihil novi sub sole (rien de nouveau sous le soleil).

 

                 Je pourrais une fois encore me prosterner devant M. Serpaud en l’implorant avec dévotion pour réclamer la télécommande de la télévision qu’on installa jadis dans ma chambrée à la SIA. Pourquoi ? c’est la seule chose qui me rattache encore à la vie !

 

        Cela m’oblige, une fois la chaîne sélectionnée, à regarder Cyril Hanouna jusqu’aux ultimes rediffusions en boucle de la même émission tard dans la nuit… Vanitas vanitatum dit encore l'Ecclésiaste… et non, rien ne change.

 

                 Je pourrais évoquer ce professeur de collège qui me dit cette semaine que sa magnifique salle de cours est saccagée : des étudiants y travaillant tard le soir ont eu l’audace de fermer les fenêtres et de mettre les papiers dans la poubelle en oubliant un gâteau sur une table : visiblement de professeur à éboueur il n’y a qu’un pas puisque l’on m’apporte le contenu de la- dite poubelle en maugréant. Rien ne change.

 

                 Rien ne change, comme au temps jadis où l’Union Soviétique nous présentait ses meilleurs vieux tout en envahissant presque par inadvertance l’Afghanistan ; aujourd’hui la Russie envahit l’Ukraine : Brejnev Poutine, même combat, à ceci près que Brejnev était Ukrainien… comme son prédécesseur. Par un retournement dont l’histoire a le secret, l’Ukraine fertile en dirigeants soviétiques semble payer l’addition ! Victor Hugo parlait déjà en son temps de l’expiation.

 

                 Rien ne change jamais, petit, ma grand-mère qui était aussi ukraino-polonaise me parlait de cette fameuse grippe qui n’avait espagnole que le nom, et nous avons vécu le, la covid (on ne sait plus très bien). Heureusement le pronom « Iel » pourra peut-être nous servir à désigner cette maladie. Et aujourd’hui, miracle, apothéose, comme le nuage de Tchernobyl autrefois contourna la France en s’arrêtant à la frontière belge, le virus a le bon goût d’éviter de se répandre pour laisser libre cour aux élections présidentielles françaises. Rien ne change.

 

                 Il n’est d’ailleurs jusqu’aux élections justement qui ne fassent songer au temps jadis : retour vers le futur, 1988 le président de l’époque différait sa candidature dans un suspense insoutenable et écrivait finalement une lettre aux Français : Mitterrand, Macron même combat, cœur à gauche, portefeuille à droite, ou comment passer pour socialiste quand on est un fieffé conservateur.

 

                 Rien ne change : le menu de la cantine de Saint Jean propose toujours à la carte son plat emblématique : les frites accompagnées de leur purée de pomme de terre et de leurs parmentières avec deux choux de Bruxelles. Le soir, c’est le pain d’hier accompagné des nouilles à l’huile d’avant-hier, et le lundi c’est salsifis ! C’est toujours un véritable cauchemar en cuisine.

 

                 Sur un ton plus léger encore qu’il pût être dramatique, la porte des toilettes du troisième étage est toujours aussi capricieuse. Elle me valut un soir de printemps l’année dernière de me retrouver enfermé. Après des appels désespérés répétés en vain (il faut savoir qu’à Saint Jean y a le téléphone qui son mais personne ne répond, où est passé le standard après 17h quand on en a besoin est toujours resté pour moi un grand mystère). A l’expiration de ma batterie, je dus me résigner à tenter d’héler un quidam qui passerait par là. Evidemment personne, en pleine canicule, la déshydratation me guettait et alors que, recroquevillé comme un petit animal, j’allais me résoudre à boire l’eau de la cuvette pour me désaltérer afin de m’éviter d’être asséché par les rigueurs de la vie, un cube qui allait travailler en A309 entendit mes gémissements plaintifs : la porte s’ouvrit dans un halo de lumière presque divin : libéré, délivré ! Un an après, la porte scélérate continue de faire des victimes, donc chers parents si jamais votre progéniture ne rentre pas un jour, dites-vous que son corps momifié doit être dans les toilettes sarcophage du troisième étage !

 

                 Non décidément je n’ai rien à dire pour ce baptême. Comme Louis XVI dans son journal le 14 juillet 1789, je m’apprêtais donc à écrire « rien » et j’étais pris du fameux vertige de la page blanche.

 

                 Je me perds dans mes pensées (et je m’y perds assez facilement parce que c’est un endroit où je ne vais pas souvent)…

                 J’ai peur, oui j’ai peur… tout à coup mon téléphone se met à sonner comme dans les films d’horreur. Stupeur et tremblement.

 

                 Après moult hésitations, je décroche et entends une voix inquiétante sortie d’outre-tombe : « bonsoir JR, c’est Grégoire ». « Laissez-moi tranquille ! » Je raccroche le téléphone en le regardant avec effroi comme il se doit en pareille situation. C’est alors que je compris, comme Saint Augustin entendant les voix d’enfants, je reconnais le signe que j’attendais ! après tout, on ne va pas se laisser abattre, comme le disait Kennedy.

 

                 J’avais un sujet pour ce discours !

 

                 Depuis le dernier baptême de promotion tout a changé ! tout peut changer et oui, le changement c’est maintenant !

 

                 Alors partons à la découverte de ces fameux changements qui ont durablement modifié notre belle prépa !

 

                 D’abord, la ville de Douai a changé, désormais son univers impitoyable, glorifie la loi du plus fort ; la foule des binbins n’est plus aux portes de la ville… ils sont là partout, dans les campagnes, sur les réseaux sociaux… Douai sous son soleil implacable ne redoute finalement qu’une chose : les internes de la matt’ : il faut dire que lorsque Soufiane, Antheaume, Enzo, Théodore, Jeanne, Quentin, Grégoire, Victor, Baudouin et Louis-Marie arrivent en ville, tout le monde change de trottoir. On voit les volets se fermer à leur passage et l’on cache les enfants et les vieillards.

 

                 Tout a changé encore il y a deux ans à l’arrivée d’un nouveau chef d’établissement : M. Chuepo. La rumeur avait bruissé et enflé. Comme à chaque fois tout le monde se demandait qui était ce personnage, d’où il venait, si c’était un mythe ou une légende. Et j’entendais ceux qui portaient la bonne nouvelle « il va arriver », « il arrive », « il est parmi nous » ! « Au fracas des buccins qui sonnaient leur fanfare / Superbe, maîtrisant son cheval qui s’effare / Sous le ciel immense, l’Imperator sanglant ! ». Comme Dark Vador sortant de sa navette, je vis un homme tout en noir, chapeau vissé sur la tête s’avancer et se présenter : j’avoue qu’on est loin du dictateur sanguinaire qu’on nous avait vendu. Mais comme Amine Dada, sous ses airs bonhommes, se cache la force tranquille. Car à chaque jour, un nouveau projet. Dans chaque part une fève et pour tous une couronne d’épines.

 

                 Et l’installation d’un tracker sur notre ordinateur, « meeting booster » nous rappelle à nos tâches quotidiennement : elles sont répertoriées en catégories diverses : urgentissimes, urgentes, à faire de suite, à faire avec la plus grande diligence, à faire avec une extrême célérité, seule la mention « poser vos congés » jouit d’un statut particulier : « peut attendre l’année prochaine ».

 

                 Bref avec Chuepo, c’est toujours chaud cacao mais si tu lui donnes tes noix de cocos il te donne ses ananas !

 

                 Tout change. Tout change au point que l’on a vu arriver à Saint Jean trois beaux gosses en robe. J’ai tout de suite cru à un défilé de Jean Paul Gauthier. Je suppute alors que l’amphithéâtre mondialement connu de Saint Jean (l’Arena !) a été choisi pour la fashion week et alors que je m’apprêtais à prendre ma robe tricolore Yvette Horner, un accordéon et une teinture rousse, pour faire bonne figure, quelqu’un me dit que ce sont les trois dons.

                

        Le mystère s’épaissit, les trois quoi ? les trois mousquetaires ? Riri Fifi et Loulou ? le Bon la Brute et le Truand ? et des Dons, quesako  ? Don Juan ? Don Camillo ? Don Patillo (Seigneur ce ne sont que quelques pâtes, oui mais des Panzani répond le Tout puissant) ?

 

        Eric Danneels, notre responsable pastorale, me dit alors que ce sont les trois prêtres. Là encore je me méprends lourdement. Pour moi les trois prêtres ce sont ces chanteurs qui reprennent les classiques de la variété française en les adaptant aux chants grégoriens. N’y comprenant mais, j’insiste auprès d’Eric. Il me précise que ce sont les dons de la communauté Saint Martin qui viennent exercer leur ministère en la paroisse de Douai. D’emblée je me reconnais dans la déclaration du modérateur général de la communauté Don Paul Préaux « Prendre Dieu au sérieux sans se prendre au sérieux. » Salutaire devise qui m’évitera donc l’excommunication après ce discours. 

 

                 Tout change, après bien des délais et des retards, l’érection du nouvel internat rue Canteleu a pu enfin arriver à son terme. J’avoue que lorsque M. Chuepo m’informa qu’il était temps d’y intégrer les étudiants, j’ai un moment pensé à la chanson de Dalida « paroles, paroles et encore des paroles ». Car, il faut bien l’avouer, les internes de Canteleu furent cette année nos gitans, nos

Gipsy, nos kenjy. Jetés sur les routes de l’exode, sans domiciles fixes, les étudiants outragés, les étudiants relogés, les étudiants déménagés, mais les étudiants enfin installés firent preuve d’une patience exemplaire. Et comme le chantait Daniel Guichard qu’à part mon vieux, les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître l’interne de Canteleu ne sait pas d’où il vient mais sait toujours où il va.

 

        Parmi les changements notables enfin, notre équipe en prépa s’est étoffée, puisque nous avons pu accueillir Mme Devenyns dont le rôle principal est d’être le Cerbère de la porte, tandis qu’Eric Danneels est le maître des clefs. On m’a acheté un cerveau, Mme Boussemart qui gère le secrétariat des classes préparatoires et me rappelle à mes rendez-vous. Monsieur Cadet poursuit sa mission d’adjoint à mes côtés et Madame Audrain à la suite d’un heureux événement, gère la communication des classes préparatoires.

 

                 Tels furent les changements depuis le dernier baptême de promotion qui démentent le triste « nihil novi sub sole » au profit du « tout change » héraclitéen. Et si pour certains cela paraît fort peu, c’est déjà beaucoup.

 

                 Mais pour clôturer ce discours de bienvenue, je dois avouer que tous les changements ne sont pas heureux.  Le poète dit « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé », je pense donc en ce jour à Gaspard qui nous a quittés et dédie cette cérémonie à sa mémoire.

 

                 Madame, Monsieur, chers étudiants, je forme des vœux pour que cette promotion soit celle du changement dans la continuité, de la réussite dans la joie d’être ensemble afin de célébrer l’avènement du monde d’après, dont vous, les jeunes vous serez les garants et les dépositaires. Car n’en doutez pas, ce n’est pas tant la formation intellectuelle à Saint Jean qui vous marquera, que les liens d’amitiés que vous y aurez tissés : réussissez donc puisqu’il le faut, dans la bienveillance et le souvenir de ce que vous aurez vécu. Et comme la Marseillaise chantez « nous entrerons dans la carrière quand nos aînés n’y seront plus, nous y trouverons leur poussière, elle est la trace de leur vertu. » Merci !

 

 

 

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Article écrit par Saint Jean Prépas • Publié Lundi 14 mars 2022 • 5773 visites